Le retour en force du déficit manufacturier dans le commerce international.

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Alors que le solde courant de la France reste globalement excédentaire, les chiffres d’avril révèlent une dégradation préoccupante du commerce de biens manufacturés. Faut-il y voir un signal d’alarme sur la compétitivité industrielle ou un simple accident statistique ? État des lieux et grille de lecture pour investisseurs.
 

Un trou d’air sur les exportations industrielles
Le mois d’avril a marqué un tournant inattendu. Selon les données publiées par la Banque de France, le solde commercial hors énergie affiche un déficit de 4,9 milliards d’euros, rompant avec la bonne surprise de mars, où un excédent avait été enregistré. Plus précisément, ce sont les biens manufacturés — et non les hydrocarbures ou l’électricité — qui creusent la balance.
 

Ce phénomène pourrait traduire un essoufflement temporaire des exportations, dans un contexte marqué par le ralentissement de la demande mondiale et une désynchronisation des cycles industriels. Les carnets de commandes à l’export se sont contractés dans plusieurs secteurs-clés comme l’automobile, la chimie ou l’électronique, selon les derniers baromètres sectoriels de Rexecode.
 

Mais ce chiffre ne doit pas être lu isolément. Sur les 12 derniers mois glissants, le solde des transactions courantes reste excédentaire de 4 milliards d’euros, grâce à la résilience des services (tourisme, finance, transport) et aux revenus d’investissement issus de l’étranger. En clair : la France ne vit pas au-dessus de ses moyens à l’échelle macroéconomique, contrairement à d'autres économies développées.
 

Un indicateur de compétitivité en tension
Pour autant, cette détérioration du solde manufacturier n’est pas sans conséquences. Elle met en lumière les limites de la stratégie industrielle française, fondée sur la relocalisation et la décarbonation. Malgré les annonces de "réindustrialisation verte", les parts de marché françaises dans les exportations mondiales restent faibles, autour de 2,6 %.
 

Le différentiel de compétitivité-coût avec l’Allemagne, qui s’était réduit pendant la crise énergétique, tend à se creuser de nouveau. L’évolution des salaires, la fiscalité de production encore pénalisante, et les lourdeurs administratives freinent les marges d’adaptation. Comme le soulignait récemment l’économiste Sylvain Bersinger, "la France reste une économie de services avec un appareil industriel réduit et parfois peu armé pour la compétition mondiale".
 

Les conséquences pour les investisseurs ? Une vigilance accrue sur les valeurs industrielles exposées à l’export, en particulier celles opérant sur des marchés sensibles aux délais, aux taux de change ou à la demande chinoise. La baisse du yen et la vigueur persistante du dollar ne font qu’accentuer les écarts de compétitivité-prix.
 

Solde courant vs solde commercial : bien lire les signaux macro
Le chiffre du mois d’avril ne signifie pas que la France entre dans une crise de balance des paiements. Le solde courant — qui inclut les échanges de biens, de services, les revenus primaires (dividendes, intérêts) et les transferts — reste l’indicateur clé à surveiller. Tant qu’il reste excédentaire, le pays reste crédible aux yeux des marchés financiers, capable d’honorer ses engagements extérieurs sans dépendance au financement étranger.
 

Cette distinction est d’autant plus cruciale à l’heure où d’autres économies, comme les États-Unis, voient leur déficit courant se creuser dangereusement, avec une dépendance massive aux capitaux internationaux. À l’inverse, la France bénéficie encore d’un stock de revenus d’actifs détenus à l’étranger (grâce à ses multinationales et à l’épargne investie dans des fonds internationaux) qui amortit les chocs commerciaux.
 

En résumé : si le chiffre d’avril sonne comme un rappel à l’ordre pour l’industrie française, il ne doit pas faire oublier que la santé extérieure d’un pays se juge sur la durée, et non sur un mois. Pour les investisseurs, cela implique de suivre de près les tendances longues plutôt que de sur-réagir aux variations ponctuelles.